Elle puise dans ses racines, dans son éducation stricte et dans sa foi, le courage de tenir. Quand on demanda à Geneviève de Galard, plus tard, ce qui lui avait permis de tenir, elle répondait " Ma foi, et mon rouge à lèvres. "
Parce que cette touche de carmin était le rappel d'un hier, et d'un ailleurs.
Parce que cette foi chrétienne enracinée était l'espérance d'un lendemain.
Et parce que, dans l'élégance du désespoir, le courage se drape d'humour pour ceux qui n'ont plus rien, et qui se permettent d'en rire.
Mais devant les blessés ou les mourants, son courage se galvanise encore : Geneviève de Galard tient bon. Elle devient " l'ange " au milieu de la mêlée.
Elle défie jour et nuit la précarité dérisoire des conditions sanitaires, opérant, soignant et consolant chacun.
Elle sillonne et offre une parole de réconfort à ceux qui sont plâtrés des genoux aux aisselles, aux amputés et aux gueules cassées. Elle conserve toujours un sourire rassurant, alors que partout autour règne une tristesse innommable, indicible, insupportable.
Elle fait mieux que soigner les corps, elle panse les âmes.
Pour des dizaines d'hommes, elle était un dernier regard, un dernier sourire, une main douce et chaude qui tenait le creux de leur paume. Et quand vint leur dernier soupir, ils partaient apaisés de savoir qu'un monde rempli de tant d'horreurs, n'est jamais sans tendresse.
Lorsque Diên Biên Phu tomba, en mai 1954, après 56 jours de combat : trois mille hommes étaient morts. Les douze mille soldats français survivants furent faits prisonniers, et Geneviève de Galard, malgré son refus de les quitter, fut rapatriée en France.
Alors sa silhouette vêtue de la tenue de parachutiste a fait la une des journaux et le tour du monde.
Geneviève de Galard cessa d'être elle-même, elle devint un symbole.
Elle n'est plus qu'une femme, elle est 15 000 soldats.
La chronique de ses exploits exorcise le traumatisme de Diên Biên Phu, et son nom devient le contrepoint de ces trois syllabes sanglantes.
Elle devient l'icône des militaires qui ont rempli leur mission jusqu'au bout, même quand tout est perdu. li leur reste l'honneur d'avoir combattu, elle l'incarne.
A son retour, parmi les lettres de remerciement qui affluent par milliers se glisse une invitation du congrès et du président américain. Fêtée comme une vedette par 250 000 New-yorkais, habillée par les grands couturiers, l'héroïne de 29 ans remonte Broadway sous une pluie de confettis.
Le cœur en deuil dans les rues en liesse, elle ne pense qu'à ses camarades restés en captivité.
Elle pense à ces 12 000 Français, affamés, torturés, épuisés et malades, qui, tandis qu'elle remonte la 5e avenue, fléchissent sous les coups des soldats du Viet Minh sur des chemins de montagne, avant de tomber, un à un.
Seul un de ces Français sur quatre reviendra.
Elle pense à tous ceux pour qui Diên Biên Phu fut un dernier combat, et dont la boue avale les corps, comme la mer ceux des marins.
Leurs dépouilles gisent là-bas, enfouis sans linceul, sans stèle et sans cercueil. Parfois, un de leur copain courageux avait marqué le lieu d'une croix de bambous, sertie de leur nom, gravé dans le métal d'une boîte de conserve.
Elle pense à ce pays de cocagne, à ceux qui l'ont aimé, profondément, et qui s'en sentiront toujours un peu orphelins. Ceux qui, comme Hélie de Saint-Marc, avaient emporté dans leur paquetage « des fleurs séchées, des cicatrices amères et des rêves qui ne voulaient pas s'éteindre. »
Geneviève vivra pour eux, avec une intensité décuplée.
Elle vivra avec l'un d'eux.
Et le 14 juin 1956, les cloches de la cathédrale des Invalides sonnent pour les noces du jeune capitaine Jean de Heaulme et de Geneviève de Galard, silhouette blanche, sous l'immense voûte et sous ses étendards, qui frissonnent ce jour-là d'un vent de bonheur.
Puis les clameurs se sont tues. Les cauchemars, les insomnies, jamais totalement.
Ensemble, ils ont regagné l'anonymat et le chemin du service. Lorsque Geneviève de Heaulme clôture son journal aérien pour se consacrer à sa famille, il compte 1 500 heures de vol, dont 433 en missions de guerre.
Geneviève de Galard est revenue aux Invalides, souvent, silhouette blanche, encore, dans sa blouse de soignante.
A nouveau, elle soigne les corps meurtris de ses camarades, d'un geste sûr et par une rééducation patiente.
Après une jeunesse marquée par tant de courage, la vie de Geneviève de Heaulme continua d'être tournée vers les autres, avec la même force et la même sincérité. Elle s'engage auprès des personnes handicapées, aux côtés de ses camarades de l'association nationale des combattants de Diên Biên Phu avec lesquels elle transmettait son histoire aux plus jeunes, mais aussi pour ses concitoyens, à la mairie du XVII? arrondissement de Paris.
Mais l'engagement de sa vie fut avant tout pour sa famille : ses trois enfants, François, Véronique et Christophe, et pour ses nombreux petits-enfants.
Veillée jusqu'à son dernier souffle par Jean de Heaulme, elle eut droit, jeudi 30 mai, à son tour, à un dernier sourire avant de partir.
Geneviève de Galard est revenue aux Invalides, une dernière fois aujourd'hui, sans blancheur nuptiale, sans blancheur d'infirmière.
Drapée, cette fois, de bleu, de blanc, et de rouge.
Geneviève de Galard est décédée 70 années après la fin des combats de Diên Biên Phû. Ces 70 ans d'histoire ont apaisé les mémoires. La France et le Vietnam avancent désormais en regardant leur histoire sans jamais rien oublier, mais sans passion triste ni rancœur.
Ces 70 ans d'histoire n'ont jamais fait évaporer l'émotion de mai 1954, et les souffrances de quinze mille hommes, collés à la boue, sous une mousson d'obus.
Ils ont laissé un peu de leur âme, quelque part entre le fleuve rouge et la rivière des parfums, dans un pays qui sentait la saumure et le glaïeul, sous les nuages blancs des rizières.
Et votre âme à vous, Madame, les portait tous, vous avez écrit pour eux, pris la plume, vous les avez fait vivre en vous.
Ce sont eux aujourd'hui qui vous font cortège, dans cette grande cour des Invalides.
Quinze mille soldats de la France.
Et vous, Madame.
Vive la République!
Et vive la France !
https://www.defense.gouv.fr,le 10 juin 2024
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